Méditation du Père Allain Gérard Essan, Directeur pastoral de La Roche du Theil

Méditation du Père Allain Gérard Essan, Directeur pastoral de La Roche du Theil, en la solennité du Sacré Cœur de Jésus.

Tout est donné dans le Cœur de Jésus, cette « fournaise de charité », ce lieu absolument unique et absolument repérable entre tous, où Dieu révèle aux hommes l’immensité d’un amour sans rivages et où les hommes deviennent à leur tour capables de venir se loger – il y a place pour tous – afin d’aimer Dieu filialement, en allant jusqu’au bout de leurs forces vives. Cœur de Jésus, amour « révélé » : Dieu n’est plus le Dieu caché …..
Jean Eudes vient de (retrouver un symbole fort, universel, pour parler aux petits et aux grands de l’Amour infini, exposé au grand jour.
Mais qu’est-ce-donc que l’amour ? Qui nous aime, et qui aimons-nous, lorsque nous nous laissons aimer et lorsque nous aimons ? Pour Jean eudes, l’amour du Père nous vient ici par le Fils, par Jésus : voilà pourquoi, dans le Cœur de Jésus, l’amour est saisi en permanence sous l’angle d’une disponibilité filiale et courageuse, appelée à se traduire toujours et encore dans des actes concrets. L’obéissance, librement consentie, est bien la figure de la liberté créée qui correspond au mieux au mystère du Fils éternel entrant dans notre histoire. Obéissance prompte, active, exacte : obéir, pour le parfait Adorateur du Père, Amour qui se reçoit intégralement du Père, c’est aimer de façon dynamique, à même un chemin d’histoire humaine. Pour reprendre ici une célèbre distinction de Saint vincent de paul l’amour qui se dévoile dans le Cœur de Jésus n’est pas seulement affectif, il est aussi et surtout effectif. Bref, l’amour, cela s’exerce : disponibilité filiale et courageuse, inlassablement active.
Jésus a du cœur, du cœur à l’ouvrage. Il vient dans le monde pour faire la volonté du Père (nous retrouvons les passages d’Écriture déjà évoqués : Ps 39 ; He 10, 2 ; 2 Co 1,19-20). Si le Cœur est bien un lieu pour la mémoire heureuse, pour l’action de grâces et la miséricorde, c’est en tant que l’amour, disponibilité permanente, ne se disjoint jamais d’un impératif de réalisation. On ne fait pas provision d’amour. On n’aime pas non plus par procuration. On aime, effectivement, ici et maintenant.
Et ce qui émerveille le P. Eudes, c’est que tout chrétien, de par son baptême, peut vivre accordé à ce Cœur immense qu’est le Cœur de Jésus. Chaque chrétien peut et doit vivre « Corde magno et animo volenti ». Ce Cœur « est à nous » : « Ne vous contentez pas d’aimer Dieu avec votre cœur humain ; cela est trop peu de chose, cela n’est rien ; aimez-le en tout l’amour de votre grand Cœur »… (Le Cœur admirable… OC, VI, 264) Un Cœur qui est à tout le monde, pour tout le monde, un Cœur que chacun peut faire sien autant que tous les autres. Chaque chrétien peut donc, comme Jésus, par Lui et en Lui, unir dans la douceur et la patience sa volonté – cette « faculté spirituelle dont le propre est d’aimer » – à la très douce volonté du Père.
Ne nous étonnons donc pas si Jean Eudes, même « dans les croix », a annoncé et célébré cette fête du Cœur de Jésus, cette messe « au cœur de feu », avec une allégresse communicative : certes, il y a les épreuves, les échecs, les difficultés, le péché ; mais il y a surtout ce Cœur qui nous est donné comme Cœur qui aime Dieu et les hommes, et comme Cœur où nous pouvons à notre tour aimer Dieu et les hommes. Le symbole du Cœur de Jésus et (de) Marie permet en définitive au P. eudes d’unifier les « états et mystères » : l’intérieur est la face de la disponibilité permanente, s’exprimant à l’extérieur comme accomplissement effectif du mystère, dans un ensemble toujours nouveau de gestes actifs qui créent hic et nunc l’événement d’amour en ses composantes inépuisables… En logeant sa vie dans ce double grand Cœur, le chrétien peut donc s’enraciner dans une demeure stable, être en « état » de… et il peut, en cela même, marcher toujours, en continuant d’inventer sa partici­pation active au mystère.
Donc, non pas provision, non pas procuration, mais participation qui m’invite et me requiert ; je ne contemple que pour recevoir le don d’inventer l’amour, moi aussi… En accor­dant ma vie au rythme du Cœur de Jésus, je m’accorde au vrai tempo de l’amour ; je ne rêve pas d’amour déjà passé ou encore à venir, je vis au « participe présent » de la grâce ma vie spirituelle, continuant, accomplissant, formant, faisant vivre et régner Jésus en moi, consommant ce mystère jusqu’à mon dernier souffle. Fêter le Cœur de Jésus, c’est s’ajuster au mystère du temps ; aimer au participe présent, c’est faire de la durée de l’existence le lieu effectif d’accomplissement de notre vocation.